Le Dictionnaire des Antiquités Grecques et Romaines de Daremberg et Saglio

Article REI VINDICATIO

REI VINDICATIO

BEI VINDICATIO, Revendication. Droit grec. La théorie des actions civiles servant à garantir le droit de propriété soulève, dans le droit attique, des difficultés nombreuses et importantes, dont la solution est parfois purement conjecturale. La principale raison en est que cette théorie ne peut guère se construire que d'après les renseignements formés par les lexicographes, à qui le sens véritable des institutions de l'époque classique échappait bien souvent, et dont les diverses définitions fragmentaires paraissent quelquefois inconciliables soit entre elles, soit avec le peu que nous pouvons trouver sur notre matière dans les plaidoyers des orateurs Une des principales difficultés consiste à savoir quelle est précisément l'action au moyen de laquelle le propriétaire peut faire valoir son droit sur sa chose. A-t-il à sa disposition, comme dans le droit moderne, des actions destinées à faire respecter sa possession, abstraction faite de la question de propriété? N'a-t-il, au contraire, qu'une action pétitoire analogue à la rei vindicatio du droit romain? Ou bien encore cette dernière action se combine-t-elle avec d'autres qui en forment, en quelque sorte, les préliminaires ? C'est là un point très délicat dont nous avons déjà donné incidemment la solution en étudiant le rôle que jouent dans la procédure les actions On a pu voir que l'action réelle, dans le droit attique, n'a pas de nom spécial, mais qu'elle s'intente dans une forme spéciale, celle de la Itaôtxaaia [DIADIKASIA]. Droit romain. La propriété est protégée à Rome de diverses manières. Elle a d'abord comme sanction les interdits possessoires [INTERDICTUM] qui protègent la possession comme telle, mais qui, par cela même, protègent, dans la grande majorité des cas, la propriété elle-même, à savoir, quand elle est jointe à la possession [POSSESSIO], ce qui est le cas normal. Si le propriétaire ne possède pas, il ne peut, du moins à l'époque historique, se faire justice à lui-même en usant de violence pour forcer l'usur pateur à lui restituer la chose qu'il détient indûment. Mais le droit lui ouvre plusieurs actions qu'il peut faire valoir devant les tribunaux, actions qui varient suivant le caractère de la propriété, c'est-à-dire selon qu'il s'agit de la propriété quiritaire, de la propriété prétorienne de la propriété provinciale ou de la propriété pérégrine. le Propriété quiritaire. Abstraction faite des actions pénales qui peuvent protéger la propriété civile ou quiritaire (action furti en cas de vol [FURTUM], action de la loi Aquilia, un cas de damnum injuria datum), cette propriété est sanctionnée par la rei vindicatio donnée au propriétaire contre celui qui refuse de lui rendre sa chose. La revendication, qui est le type des actions réelles du droit civil, ne s'est pas toujours intentée suivantles mêmes règles. A l'origine, dans le système des actions de la loi [ACTIO, LEG1S ACTIO], elle s'intentait dans la forme du SACRAMENTUM. En matière de propriété, cette procédure s'engageait par une double affirmation des parties qui, en des termes solennels, s'affirmaient toutes deux propriétaires de la chose litigieuse, avec un simulacre de combat (manuum conserlio) relatif à la chose. La présence de celle-ci était nécessaire quand il s'agissait d'un meuble. Quand il s'agissait d'un immeuble, originairement le préteur et les parties se rendaient ensemble sur le terrain litigieux; dans la suite, les parties se bornaient à en apporter une motte de terre ; enfin on n'exigea plus d'elles que le simulacre de s'y rendre'. L'objet du litige ainsi déterminé, les parties procédaient au sacramentum [AcTIo]. Puis, après que la possession intérimaire de la chose avait été attribuée par le préteur à l'une des parties, qui fournissait la caution de rendre la chose et ses fruits (praedes titis etvindiciarum)2, le juge, saisi de la contestation par suite de la formule donnée par le préteur, avait à rechercher sur les preuves administrées par les parties, laquelle de celles ci avait fait un sacramentum justum ou injustum et la décision sur ce point impliquait comme conséquence le jugement sur le droit à la propriété. Quant à la sanction du jugement, il semble bien résulter d'un passage de Gains' que la partie perdante pouvait être contrainte, s'il y avait lieu, à restituer la chose en nature. Les formalités précitées ne passèrent point dans la procédure formulaire [ACTIO], où l'on ne rencontre ni manuum consertio, ni sacramentum. L'expédient de la gageure fut, il est vrai, conservé pendant longtemps. Mais la promesse de payer l'enjeu, sponsio, est simplement préjudicielle et ne sert qu'à engager l'instance. A la différence de l'ancienne procédure per sacramentum, qui était double, qui comportait une vindicatio et une contra vindicatio, les deux parties jouant à la fois le rôle de demanderesse et de défenderesse, devant pareillement prouver leur droit et étant égales au point de vue de la preuve, la nouvelle procédure per sponsionem est simple, c'est-à-dire qu'il y a un demandeur et un défendeur : le demandeur est obligé, pour triompher, de prouver son droit, tandis que le défendeur qui n'a rien à prouver, conserve la chose du moment que le demandeur ne fournit pas la preuve qui lui incombe'. L'emploi de la gageure étant devenu une simple for REI 829 BEI matité, on finit par en affranchir et par agir directement en reconnaissance du droit de propriété, per petitoriam formulam, formule par laquelle le demandeur réclame la chose comme sienne, intendit rem suam esse'. Dans le système formulaire, la procédure per sponsionem avait d'abord existé concurremment avec celle per petitoriam formulam 2. Mais cette dernière finit par l'emporter à raison de sa simplicité et subsista• seule. Aussi la législation de Jutinien ne connaît-elle plus de sponsio, et c'est sur le modèle de la formule instituée que la procédure du droit nouveau s'est formée. Nous indiquerons ultérieurement les résultats de cette procédure, après avoir préalablement déterminé les conditions d'exercice de la revendication. Ces conditions se rapportent soit à son objet, soit aux parties qui figurent dans l'instance, demandeur et défendeur. En ce qui concerne d'abord l'objet de la revendication, celle-ci étant la sanction du droit de propriété quiritaire [DOMINJUM], exige comme objet une chose susceptible de ce droit : elle est donc inapplicable aux fonds provinciaux et peut-être originairement aux choses nec mancipi. La revendication suppose, d'un autre côté, une chose corporelle dans le commerce, meuble ou immeuble, fongible ou non fongible. De plus. la propriété supposant un objet individuellement déterminé, la revendication ne peut porter sur une universalité de droit, universitas juris : celui qui réclame un patrimoine ou une quote-part de patrimoine doit agir au moyen de la pétition d'hérédité 3. Pour pouvoir exercer la revendication, le demandeur doit d'abord alléguer son droit de propriété quiritaire; cette condition exclut de la revendication les personnes qui ne sont pas susceptibles de cette propriété, les pérégrins, ainsi que ceux qui ont acquis seulement par un des modes prétoriens, les propriétaires prétoriens. Mais une fois la propriété quiritaire acquise, peu importe qu'elle dérive d'un mode du droit civil, ou d'un mode du droit des gens ". Le demandeur doit prouver, d'autre part, que le défendeur est en possession de la chose réclamée, car c'est précisément cette possession qui constitue la la lésion de droit du demandeur 6. La rei vindicatio peut être exercée d'abord contre celui qui possède, peu importe que ce soit un véritable possesseur, ou un simple détenteur, tel qu'un locataire S. Mais le détenteur actionné en revendication peut détourner de lui la poursuite en désignant la personne pour le compte de laquelle il détient la chose'. Il peut arriver toutefois dans deux cas qu'une personne soit soumise à la rei vindicatio quoique ne possédant pas la chose litigieuse. La revendication est possible d'abord contre celui qui a cessé de posséder par dol, en faisant passer la possession à un tiers, ou bien en détruisant ou en abandonnant la chose 9. Elle l'est, en second lieu, contre le possesseur fictif, c'est-à-dire contre celui qui, ne possédant pas, s'est fait passer frauduleusement comme possesseur et a assumé le rôle de défendeur, ce qui n'empêche pas, d'ailleurs, le véritable possesseur d'être encore passible de la rei vindicatio 9. Dans la procédure per formulam petitoriam, on maintient provisoirement l'état de chose existant au jour de la litis contestatio, et, par suite, le défendeur, qui est possesseur de la chose, la garde pendant la durée de l'instance. Mais, en retour des avantages que lui procure cette possession, il doit fournir une cautio judicatum solvi tendant à assurer l'exécution des restitutions ou condamnations prononcées parle juge 10. Dans la procédure précitée le demandeur seul affirmait un droit de propriété sur la chose, c'est à lui seul qu'incombe la prétention de prouver son droit Le défendeur qui n'élève pas de prétention rivale à la propriété, n'a rien à prouver. Pour triompher et garder la chose, il lui suffira de détruire les arguments de son adversaire, au fur et à mesure qu'ils se produisent ". Cette situation avantageuse faite au défenseur, c'est-à-dire au possesseur, explique l'importance et le rôle des interdits possessoires uti possidetis et utrubi, servant de préliminaire à la revendication et fixant par avance la situation respective des deux adversaires dans le procès sur le fond, pour savoir uter possidere, uter petere debeat f2. Le défendeur peut d'ailleurs, sans contester le fondement de l'action, opposer diverses exceptions au demandeur. Ainsi d'abord, il peut paralyser la poursuite au moyen de la rnAxscrupTIO. Le même résultat peut être obtenu, suivant les circonstances, par l'exceptio rei judicatae, et par des exceptions analogues fondées sur l'aveu, sur le serment ou sur une transaction 13. Parmi les moyens de défense à la disposition du défendeur nous citerons enfin l'exceptio rei venditae et traditae, fondée sur ce fait que le demandeur lui-même a mis le défendeur en possession, en vertu d'une justa causa qui l'obligeait à le faire14. Lorsque le demandeur a fait sa preuve et qu'il n'y a pas d'exception de prouvée à son encontre, le juge, avant de prononcer contre le défendeur une condamnation pécuniaire, conformément au principe du système formulaire, fixe en vertu de son pouvoir (arbitrium) les restitutions qu'il doit opérer et lui donne l'ordre (jussus) de les exécuter. Ces restitutions comprennent la chose revendiquée avec tous ses accessoires, cum omni causa. En ce qui concerne la causa, le principe est que le demandeur qui triomphe, doit, dans tous les cas, avoir la même situation et les mêmes avantages que s'il eût obtenu satisfaction au moment même de la litis contestatio'". Il en résulte notamment que le défendeur, quel que soit le caractère de sa possession, doit restituer tous les fruits de la chose, non seulement ceux qu'il a réellement perçus, mais encore ceux que, par sa faute, il a négligé de percevoir". Il doit également l'indemnité des pertes et détériorations qui sont arrivées par son fait et par sa faute". Quant à la période antérieure à la litis contestatio, le possesseur de mauvaise foi, qui est responsable de son dolus praeteritus, du jour même où a commencé sa possession, doit restituer tous les fruits qu'il a perçus ou qu'il a négligé de percevoir avant la litis contestatio. Quant au possesseur de bonne foi, à l'époque classique, il garde tous les fruits qu'il a perçus avant ce moment et qu'il a REI 830 REL faits siens dès qu'ils ont été séparés de la chose. Mais sous Justinien, il ne garde que les fruits consommés et doit rendre les fruits existant encore en nature'. Le montant des restitutions peut être diminué du montant des prestations dont le demandeur peut être lui-même tenu envers le défendeur. Celui-ci, en effet, peut, selon les circonstances obtenir le remboursement des impenses qu'il a faites sur la chose revendiquée. Les impenses nécessaires doivent être restituées à tout possesseur, le voleur excepté'. Quant aux autres impenses, le défendeur a le droit de les enlever, s'il peut le faire sans détériorer la chose, à moins que le demandeur ne préfère les garder en offrant d'en payer le prix. Si le résultat des impenses ne peut être séparé de la chose, le possesseur de bonne foi peut, en général, exiger d'être indemnisé des impenses utiles qui ont augmenté la valeur de la chose, l'indemnité étant fixée par le juge d'après les circonstances, ordinairement jusqu'à la concurrence de ce dont la valeur de la chose se trouve augmentée. Le possesseur de mauvaise foi ne peut rien réclamer du chef d'impenses simplement utiles. Dans tous les cas, le défendeur doit faire insérer l'exception de dol dans la la formule de la rei indicatio pour que le juge ait le pouvoir de tenir compte des impenses'. A la suite du jussus, plusieurs hypothèses peuvent se présenter : 1° si le défendeur obéit à cet ordre, le juge donne une sentence d'absolution en sa faveur; 2° le défendeur est encore absous dans le cas où il se trouve dans l'impossibilité de restituer par suite de la perte de la chose par cas fortuit depuis la litis contestatio. Si toutefois il est en demeure, il est responsable de la perte et doit être condamné 4. Si le défenseur n'obéit pas à l'ordre du juge, soit par mauvaise volonté, soit parce qu'il s'est mis par dol ou faute dans l'impossibilité derestituer, le juge prononce contre lui une condamnation pécu niaire. Le montant en est fixé soit par une évaluation que le demandeur était admis à faire lui-même sous serment, quand le défendeur était in dolo ou refusait la restitution, bien qu'il eût la chose en son pouvoir, lejugeayant toutefois le pouvoir de prévenir par une taxatio une évaluation excessive, soit par l'estimation du juge lui-même, quand le défendeur avait cessé de posséder par simple faute'. La menace de la condamnation pécuniaire fixée dans ces conditions, soit par le juge, soit par le demandeur lui-même, amène indirectement le défendeur à restituer la chose. Mais s'il persiste à la refuser, sa résistance ne peut-elle pas être brisée par la force manu militari? L'affirmative est certaine dans le droit de Justinien. Mais on se demande si telle était déjà la doctrine du droit classique ou si, au contraire, le propriétaire n'était pas alors obligé de se contenter d'une condamnation pécuniaire. La question est très controversées. La rei vindicatio sert à protéger le propriétaire quirataire contre toute prétention rivale de la sienne et portant sur la pleine propriété même. Mais si un tiers, sans contester le droit de propriété, prétend avoir simplement un droit de servitude portant sur la chose, le propriétaire a contre lui l'actio negatoria, dans laquelle il nie la servitude [sEHVITUS]. II. Propriété prétorienne. Le titulaire de la propriété prétorienne ou in bonis peut recourir, pour la protection de son droit, à une action spéciale, l'action publicienne [PUBLICIANA ACTIO], dont la théorie a été précédemment exposée. III. Propriété provinciale. La propriété des fonds provinciaux ne peut être protégée ni par la rei vindicatio, qui suppose un objet romain, ni par l'action publicienne, qui suppose un objet de même nature. On admet que cette propriété pouvait faire l'objet d'une revendication spéciale, conçue sur le modèle de la rei vindicatio, avec quelques modifications dans la formule'. IV. Propriété pérégrine. La propriété reconnue aux pérégrins ne pouvait étre protégée par les actions du droit civil, qui supposent un propriétaire civil. Mais la revendication devait lui être étendue, soit par la suppression des mots ex jure Quiritium dans la formule, soit par une fiction L. BEAUCHET.